Par Elsa Guérin

Le portrait de John McDouall Stuart


John McDouall Stuart est né en 1815 dans la petite ville écossaise de Dysart. Neuvième et dernier enfant d’un capitaine à la retraite, il connut une enfance paisible. Ses deux parents moururent cependant alors qu’il n’était encore qu’adolescent, et il fut alors recueilli par des proches. Un diplôme d’ingénieur de l’Académie navale et militaire d’Ecosse en poche, il choisit d’émigrer en Australie en 1838, à 23 ans. 

Il débarqua en janvier 1839 en Australie-Méridionale (South Australia). La colonie n’avait alors que 3 ans et s’apparentait à un camp de tentes et autres bicoques plus qu’à une ville. Stuart fut chargé par le Superviseur général de la colonie, Charles Sturt, de délimiter les futurs quartiers de la cité d’Adélaïde. Il travailla ainsi en tant que géomètre pendant plusieurs années.

Au fil des mois, Charles Sturt, lui-même grand explorateur (il fut par exemple à l’origine de la découverte de la Darling River), se prit d’affection pour le jeune Stuart. En 1844, lorsque Sturt repartit sur les routes pour explorer l’intérieur des terres, il choisit donc d’engager Stuart en tant que dessinateur. L’expédition, particulièrement éprouvante, s’engagea dans les terres plus que nulle autre auparavant. Cependant, elle ne trouva pas la mer intérieure tant espérée… mais deux déserts parmi les plus arides au monde : le Sturt Stony Desert et le Simpson Desert. Lorsque le commandant adjoint de l’expédition décéda du scorbut, Sturt fit appel à Stuart pour le remplacer. Les deux hommes réussirent à rentrer à Adélaïde, mais Stuart et surtout Sturt – qui rentra alors au Royaume-Uni –, souffraient d’une forme avancée de scorbut. Une fois guéri, Stuart retourna à son travail de géomètre, travaillant pour de riches exploitants agricoles ou miniers, dans des zones de plus en plus reculées.

Les motivations du périple de Stuart


Au milieu du XIXème siècle, l’exploration de l’Afrique par les Britanniques battait son plein. De nombreuses expéditions quittaient Londres à la recherche de la source du Nil. Les Britanniques immigrés en Australie se rendirent alors compte que comme l’Afrique, le centre de l’Australie restait une zone « inconnue », « inexplorée ». Aucune carte du cœur australien n’avait été tracée, la « Terra Australis » demeurait mystérieuse, et l’espoir que le centre de l’Australie soit fertile persistait. Certains supposaient même l’existence d’une mer intérieure…

A cette même époque, le télégraphe venait tout juste d’être inventé, mais son extension à l’échelle mondiale était d’ores et déjà lancée. Une ligne reliait ainsi Londres à sa colonie indienne, et des projets de connexion des aires urbaines australiennes étaient déjà sur les planches. Pour ce faire, le NSW et l’Australie-Occidentale proposèrent d’utiliser des câbles sous-marins.

L’Australie-Méridionale, pour se démarquer et remporter le projet, proposa de recourir à un câble terrestre traversant l’Australie, limitant ainsi considérablement les coûts. Seulement voilà, le centre australien était encore inhabité et inconnu… une raison de plus pour l’explorer !

Enfin, à partir de 1851, le Victoria connut un rapide développement, tant en terme de population que de richesse, grâce à la découverte d’or dans son sol (la région devint le premier « pays » producteur d’or au monde). Son gouvernement lança alors une expédition ambitieuse, connue sous le nom de « Victorian Exploring Expedition ». Celle-ci, visant à traverser l’Australie du sud au nord depuis Melbourne, fut menée par Robert Burke et William Wills. En réplique, le gouvernement du South Australia décida d’offrir 2 000 livres à quiconque réussirait à traverser le continent du sud au nord et à délimiter les contours de la future ligne télégraphique.

Stuart décida donc de partir depuis Adélaïde vers le nord, prenant la tête de six expéditions en seulement trois ans !

 

Les six expéditions de Stuart


C’est en 1858 que Stuart prit la tête de sa première véritable expédition, financée par deux de ses employeurs, William Finke et John Chambers. L’objectif était alors de trouver une terre connue sous le nom aborigène de « Wingillpinin » et supposée être riche en minéraux. Avec deux compagnons, Stuart découvrit une série de points d’eau isolés qu’il choisit de nommer « Chambers Creek » (ils portent aujourd’hui le nom de Stuart Creek en son hommage). Il atteignit aussi Coober Pedy, sans se douter toutefois des quantités d’opale se trouvant sous ses pieds… Après avoir longé non sans peine le Great Victorian Desert, ses compagnons et lui retrouvèrent la civilisation… 2 400kms après l’avoir quittée.

Stuart fut alors autorisé à exploiter la région de Chambers Creek qu’il avait découverte. Voulant avoir des droits sur une région plus étendue, il proposa en contrepartie de cartographier gratuitement la zone. En 1859, il repartit donc vers le nord, avec l’ambition d’atteindre la frontière entre l’Australie-Méridionale et ce qui deviendrait le Top End (la région appartenait encore au NSW). Il dut cependant faire demi-tour, par manque de fers pour ses chevaux, mais expliqua à son retour avoir découvert une source, « The Spring of Hope », qu’il pensait inépuisable… Dans les faits, cette source se trouva être inexploitable, car alimentée uniquement dans les rares années pluvieuses !

A son retour, Stuart demanda une subvention au gouvernement d’Australie-Méridionale pour réaliser la traversée sud-nord du pays, mais celle-ci lui fut refusée au profit d’Alexander Tomer. Stuart repartit néanmoins vers le nord, pour faire face aux contestations de différents exploitants agricoles sur ses droits fonciers. Après avoir redessiné les frontières de son domaine, il entreprit d’explorer la région du lac Eyre avec plusieurs compagnons. Fatigués par des semaines de canicule et de portions réduites, ces derniers, sauf William Kekwick, refusèrent un jour de lever le camp, et Stuart accepta qu’ils rentrent sur Adélaïde. Kekwick alla pour sa part refaire le plein de provisions et d’hommes. Il retrouva Stuart avec 13 chevaux mais un seul homme, Benjamin Head.

En 1860, Stuart, Kekwick et Head quittèrent Chambers Creek avec pour objectif d’atteindre le centre du pays. Leur expédition ne fut pas de tout repos. La majorité de leurs provisions furent détruites par une pluie soudaine, puis ils commencèrent à manquer d’eau, et le scorbut fit son apparition. Malgré tout, le 22 avril 1860, Stuart atteint un sommet, qu’il supposa être le centre du continent (et qui le reste aujourd’hui symboliquement). Stuart et ses compagnons réussirent ensuite à atteindre Tennant Creek, malgré l’absence de sources pour faire le plein d’eau. Après que leur camp eut été attaqué par les Aborigènes Warramunga, ils firent néanmoins demi-tour, abandonnant leur espoir d’atteindre la côte nord de l’Australie.

Le 1er janvier 1861, accompagné d’hommes armés fournis par le gouvernement, Stuart reprit la route du nord. Les températures extrêmes obligèrent une partie de ses compagnons à faire demi-tour. L’arrivée de la pluie permit au reste de l’expédition de rejoindre Newcastle Waters. Pendant 5 semaines, Stuart essaya alors de trouver la Victoria River, découverte par A. C. Gregory trois ans plus tôt, afin d’en remonter le cours et d’atteindre, enfin, la côte nord. Il finit cependant par ordonner le retour, les provisions venant à manquer. De retour à Adélaïde, il apprit que Burke et Wills, les leaders de la plus chère expédition jamais menée en Australie, n’avaient plus donné signe de vie depuis plusieurs jours. Il proposa de se joindre aux recherches, mais une première équipe de secours annonça leur mort, ainsi que celle de 5 de leurs coéquipiers.

Peu de temps après, Stuart reprit la tête d’une dernière expédition. Comme les précédentes, elle fut particulièrement éprouvante… Le coup de sabot d’un cheval rendit Stuart inconscient pendant quelques temps et le menaça d’une amputation de la main droite. Plus tard, de nouveaux conflits opposèrent les 11 membres de l’expédition aux communautés aborigènes. C’est finalement après cinq essais infructueux que le petit groupe retrouva le cours de la Victoria River, qu’il entreprit de remonter. Le 24 juillet 1862, au terme de 6 expéditions éprouvantes, Stuart atteint (enfin) la côte nord de l’Australie, et la plage aujourd’hui connue sous le nom de « Chambers Bay ».

La morale de l’histoire


Grâce à son expérience et à sa sollicitude, Stuart n’a jamais perdu un seul homme, malgré les conditions extrêmes des différentes expéditions qu’il a menées. D’une nature humble, il n’a jamais nommé les régions découvertes de son propre nom, préférant utiliser les noms de ceux qui l’ont soutenu dans sa démarche, financièrement (James Chambers par exemple) ou moralement (Charles Sturt). Certains lieux ont cependant été renommés en son honneur par la suite. Stuart a en outre permis l’annexion d’un immense territoire par le gouvernement du South Australia, alors même que ce gouvernement n’a jamais vraiment cru en lui et a toujours rechigné à sponsoriser ses expéditions. Enfin, l’Australian Overland Telegraph Line a été construite à partir de 1871 selon les indications de Stuart, de même que la route reliant Port Augusta à Darwin, connue sous le nom de… « Stuart Highway » !

 

Source: John McDouall Stuart Society