Une sacrée icône australienne !

Image emblématique de l’île-continent, cet imposant rocher aux teintes rouges émerge spectaculairement au milieu du désert, à quelques 300 kilomètres d’Alice Springs.
Inscrit au patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco, Uluru s’est peu à peu imposé comme la carte postale touristique du « cœur spirituel » de l’Australie, par la volonté des occidentaux plus que celle des aborigènes.

Que vous soyez un fin spécialiste de l’Australie ou que vous n’y ayez jamais mis les pieds, vous connaissez forcément Ayers Rock. Un paysage-icône reproduit à des millions d’exemplaires sur les brochures touristiques. Une des cartes postales de l’outback australien.
Ayers Rock – ou Uluru, sa désignation aborigène – , c’est ce gigantesque rocher rouge, reconnaissable entre mille, qui s’élève au milieu du désert à plus de 300 kilomètres d’Alice Springs. Une sorte de gros iceberg asséché qui surgit comme par magie au cœur de la plaine sableuse à peine fixée par la maigre végétation.

Neuf kilomètres de circonférence, trois de long, 350 mètres de hauteur : selon les géologues, Ayers Rock constitue l’un des plus gros inselbergs au monde, c’est-à-dire un relief résiduel isolé dominant un plateau.
Ce rocher de grès, vieux de 500 millions d’années, est une « montagne-île » qui a résisté à l’érosion en raison, notamment, de sa solide homogénéité pétrographique – essentiellement composée d’arkose. Le relief n’a, par miracle, quasiment pas changé depuis des millions d’années, quand les roches qui l’environnent, elles, ont été érodées par le temps.
Solitaire, massif, intimidant, le rocher est si majestueux que les touristes viennent par centaines de milliers chaque année l’admirer au coucher du soleil.

La magie du « monument », ce sont ses couleurs sans cesse changeantes, selon l’heure de la journée et la puissance du soleil. En peu de temps, la montagne « psychédélique » vire de l’ocre-orangé au rouge-brun en passant par le rose sombre. Un spectacle à couper le souffle.

Une ascension sacrilège !

Malgré la chaleur, souvent écrasante en cette région, la tentation est grande pour le visiteur de vouloir partir à la conquête de son sommet. Les autorités qui gèrent le parc national d’Uluru–Kata Tjuta, dans lequel est inclus Ayers Rock, tentent d’ailleurs de contenir tant bien que mal cette pulsion ascensionnelle.

Car, outre le fait d’être riche d’une faune et d’une flore exceptionnelles, Uluru est connu pour être un site sacré de certains peuples aborigènes d’Australie – des peintures et dessins rupestres témoignent que la zone est occupée depuis au moins 30.000 ans. L’escalader, c’est enfreindre les traditions et les croyances indigènes…

La notion du « sacré » a été cependant quelque peu usurpée.

D’une part, le rocher n’est pas vénéré dans sa globalité : seuls quelques sites géologiques (failles, grottes…) sont chargés de « forces spirituelles » pour les aborigènes Anangu – les groupes Pitjantjatjara et Yankunytjatjara.

Surtout, les récits des Anangu, chasseurs cueilleurs semi-nomades, demeurent secrets, en partie non divulgués, et impénétrables aux non-initiés. « Les Européens se sont approprié une notion du sacré des peuples indigènes australiens mais en en faisant une mauvaise interprétation, analyse l’anthropologue Maïa Ponsonnet1.
D’une part, le rocher rouge n’a de signification mythologique que pour les populations locales. Ces dernières sont les gardiennes traditionnelles de cette terre et des histoires – ou mythes – qui s’y déroulent. Elles lui confèrent son caractère magique. (…) Enfin, ce sont les blancs, les colonisateurs, les touristes et les autorités australiennes qui ont sacralisé le “rock”, l’ont investi du statut d’icône australienne. »

Une chose est certaine cependant : un des itinéraires du Tjukurpa traverse le rocher d’Uluru. Pour les Anangu, le « Temps du rêve » – selon la traduction – désigne la période correspondant à l’époque où le monde a pris forme.
Selon cette philosophie religieuse traditionnelle, c’est à cette époque que les mythiques ancêtres Tjuritja, mi-hommes mi-animaux, ont érigés les lois des « sociétés » aborigènes.
« Le Tjukurpa propose une interprétation du paysage actuel, de sa flore, de sa faune et des phénomènes naturels qui l’affectent en fonction des voyages et des activités des ancêtres, et relie ainsi les êtres humains sur les plans social, spirituel et historique, au paysage »2, détaille l’Unesco, qui a inscrit à double titre le site au patrimoine mondial de l’humanité en tant que biens naturel et culturel.
Probable qu’on vous parlera, sur place, des cicatrices, inscrites dans la roche, nées du duel que se livrèrent les esprits des deux serpents …

Un site redécouvert à la fin du XIXe siècle

C’est en 1873 qu’un occidental, l’explorateur anglais William Gosse, découvre pour la première fois le rocher.
Le site est bientôt baptisé Ayers Rock, du nom du premier ministre de Nouvelle-Galles du Sud, Henry Ayers.
Les blancs tentent de coloniser les alentours, notamment pour le pâturage. En vain : le désert est trop aride.
Après avoir décimé nombre d’aborigènes, les autorités gouvernementales décident de mettre en place d’importantes réserves sanctuaires pour les indigènes.
« Les Anangu résistèrent à l’assimilation, laissant le plus souvent les missions et les villages gouvernementaux pour retourner à leur mode de vie traditionnel et pouvoir ainsi transmettre le tjukurpa à leurs enfants »2.

Dans les années 1940, des pistes routières sont construites à proximité du site.
Le tourisme fait son apparition. Ayers rock, si photogénique, devient peu à peu l’emblème du « cœur spirituel de l’Australie ».
Sans que l’on sache au final réellement pourquoi.
L’image est donc en partie un leurre. La montagne voisine, Kata-Tjuta, composée d’une trentaine de dômes rocheux, apparaît d’ailleurs, d’après les récits, plus sacrée encore pour les aborigènes qu’Uluru.

La propriété des aborigènes

Qu’importe ! En 1958, le rocher rouge est intégré au parc de l’Ayers Rock-Mont Olga, nouvellement créé dans le but de développer le tourisme.
La Réserve du Territoire du Nord se charge de la gestion et de la surveillance des lieux. Les motels fleurissent aux abords d’Uluru, suivis d’un aérodrome.
En 1976, via l’Aboriginal Land Rights, le gouvernement rend aux aborigènes de la région une partie de leurs terres, mais la concession est en demi-teinte : les autorités australienne s’octroient, d’un autre côté, Ayers Rock en l’intégrant dans un « Parc national d’Uluru ».
Les choses changent bientôt, positivement, pour les aborigènes : en 1985, le Parc leur est finalement « rendu » et il prend, à leur demande, ensuite le nom d’Uluru-Kata Tjuta.
Les Anangu le gèrent aujourd’hui, en relation avec les agents gouvernementaux du Parc national.
Les commerces liés au tourisme – tenus le plus souvent par des exploitants privés – versent des royalties aux différentes communautés indigènes d’Australie.

1 Source : Le Monde
2 Patrimoine Mondial de l’UNESCO