Les apports de l’immigration en Australie

Par Edouard Seghur

Riche de plus de 23 millions d’habitants, l’Australie, pays qui s’est historiquement construit sur l’immigration britannique, doit beaucoup à l’arrivée de populations venues des quatre coins de la planète.
Avec un Australien sur quatre né à l’étranger, l’île-continent passe même pour être l’une des sociétés les plus multiculturelles et cosmopolites au monde. Un melting-pot détonnant, même si la question de l’immigration a toujours été très sensible.

En Australie, tout le monde est un peu immigré ! Les Aborigènes eux-mêmes, premiers humains à avoir peuplé la partie continentale de l’île, auraient débarqué en Australie, selon de nombreuses sources scientifiques, il y a environ 40.000/50.000 ans, via les îles de l’Insulinde et de la Nouvelle-Guinée…
A la fin du XVIIIe siècle, avec la colonisation britannique, l’Australie est soudainement peuplée d’Anglais… Les premiers Européens à s’établir en Australie étaient des bagnards venus du Royaume-Uni.

La ruée vers l’or des années 1850 attire ensuite des immigrants des quatre coins du monde : un grand nombre de Britanniques et d’Irlandais, suivis par des Allemands et d’autres européens, ainsi que des Chinois. Dans ce pays encore « jeune », des Afghans, souvent chameliers, participent à la construction du centre du pays, des Japonais contribuent à l’essor de l’industrie perlière de Broome, et des Canaques travaillent dans les plantations de canne à sucre du Queensland.

L’Australie était alors en manque de main-d’œuvre si bien que l’immigration était encouragée : les migrants recevaient des subsides du gouvernement colonial australien, et le gouvernement britannique payait de son côté la traversée de forçats, de militaires et de fonctionnaires ou de pauvres, attirés par le « rêve australien », vers l’île.

 

La politique de « l’Australie blanche »

La politique de « l’Australie blanche » –définie dans la « Loi sur la Restriction de l’Immigration » de 1901– visera à mettre fin à l’emploi d’habitants venus des Îles Pacifiques comme main-d’œuvre bon marché, notamment dans les plantations de canne à sucre, dans le Nord du pays.
En 1939, quand un sondage révèle que 98 % de la population avait une filiation anglo-celtique, certains journaux proclament, avec fierté quelquefois, que l’Australie est le pays « le plus britannique au monde ».

« Se peupler ou mourir »

Changement après la Seconde Guerre mondiale. Après avoir échappé de peu à l’invasion japonaise, l’Australie se lance dans un vaste programme d’immigration selon le slogan « se peupler ou périr », formulé par Arthur Calwell, ministre de l’immigration en 1945.
Objectif : ouvrir les portes aux immigrants pour travailler dans les usines, sur les chantiers, et peupler le pays. Des centaines de milliers d’Européens qui avaient été déplacés durant la guerre émigrèrent ainsi vers le « nouveau monde australien », et plus d’un million de britanniques profitèrent d’un plan de migration.
On appelait ces derniers les « Ten Pound Poms » (les angliches à 10 pounds) car la traversée ne coûtait en effet que 10 Livres aux adultes. Ce plan, prévu pour les habitants des pays du Commonwealth, s’étendit peu à peu à des citoyens d’autres pays, comme la Hollande, l’Italie, la Grèce et des pays de l’Europe de l’Est. Les conditions à remplir étaient simples : il suffisait d’être en bonne santé et d’avoir moins de 45 ans.

L’abolition progressive entre 1966 et 1973 de la politique de « l’Australie blanche » a permis ensuite l’arrivée d’un nouveau type d’immigrants, en provenance principalement des pays asiatiques (réfugiés Indochinois, Timorais, Indiens…).
La part des Asiatiques dans l’immigration totale est ainsi passée de 15 % en 1977 à 32 % en 1997-98 (après un pic de 51 % en 1991-92).

Un multiculturalisme revendiqué

La politique d’immigration se durcira dans les années 1970… tout en s’assouplissant. Explication : dans un contexte économique plus difficile, Gough Whitlam, premier ministre travailliste, décide de réduire les flux migratoires mais supprime, dans le même temps, toute discrimination (liée à la race, la religion ou la couleur de peau) à l’entrée dans le pays.
Avec le Racial Discrimination Act de 1975, l’Australie revendique officiellement le multiculturalisme et des programmes communautaires sont mis en place pour prendre en compte les besoins particuliers des groupes ethniques. L’objectif est l’intégration et non plus l’assimilation.

Le conservateur Malcolm Fraser poursuit les transformations initiées par son prédécesseur sur les questions de multiculturalisme (création de la chaîne publique de radio et de télévision multilingues S.B.S.) et d’immigration (il favorise l’immigration asiatique et autorise l’entrée d’un nombre important de réfugiés). Dans les années 1990, John Howard, le leader de l’opposition conservatrice, rompt, lui, avec le multiculturalisme.

Mais le résultat est là, malgré les débats houleux sur l’immigration qui agitent régulièrement le pays, et un certain racisme présent envers les « non-blancs » : l’Australie est une société cosmopolite et multiculturelle.
On estime (en 2009) que 5 290 436 personnes sont nées en dehors de l’Australie, soit 24,6 % de la population totale. Les pays d’origine principaux ? L’Angleterre arrive en tête, suivie de la Nouvelle-Zélande, de la Chine, de l’Inde puis de l’Italie…
Cette immigration a mené à l’introduction de plus de 100 langues au sein de la société australienne. Même si plus de 2 millions d’Australiens parlent une autre langue une fois rentrés chez eux, l’anglais reste la langue commune.
Autres conséquences de cette immigration : davantage d’écoles communautaires, de médias ethniques, de commerces en tous genres, une multiplication des activités religieuses et culturelles. Ce brassage a également influencé la mode, les arts ou même l’architecture australienne.

 

Une gastronomie métissée

Ce métissage est particulièrement flagrant dans la gastronomie : il y en a pour tous les goûts. Il suffit de se promener à Melbourne pour s’en rendre compte. Ici, un établissement chinois, là italien, plus loin, libanais.
On parle même désormais de cuisine « Modoz ». C’est la dénomination souvent employée pour désigner la « cuisine moderne australienne ».
Un brin exotique, cette « fusion food », née dans les années 1970, fait le lien entre la cuisine australienne « traditionnelle » et les cuisines du monde.
Un mariage des saveurs détonnant qui doit beaucoup à l’immigration. Méditerranéenne d’abord, puis grecque, turque, libanaise, balkanique. L’importante immigration asiatique a également joué un rôle majeur ces dernières années dans le développement de cette nouvelle cuisine. L’emblématique chef japonais Tetsuya Wakuda, à Sydney, a ainsi été l’un des premiers à fusionner les saveurs de l’Asie et les techniques européennes.

Pour conclure, cette réflexion de l’Australien Tom Keneally, auteur du roman « La liste de Schindler », évoquant l’inflexibilité de certains Australiens face à l’immigration : « Ici, nous ne vouons pas un culte laïc à l’immigration. Nous n’avons pas de monuments élevés à la gloire des masses en haillons qui aspirent à être libres. Nous avons parfois connu une forte résistance initiale, mais elle fut suivie de tolérance et de fraternité. Aujourd’hui, nous avons le plus fort taux de mariages mixtes de la planète. Au fil du temps, l’Australie a toujours assimilé les nouveaux arrivants. L’histoire de l’immigration australienne démontre que les nouveaux apports ont enrichi notre population d’un surcroît de prospérité, d’intelligence et d’imagination –sans remettre en cause la cohésion à laquelle nous sommes attachés et sans créer de ghettos. Pourquoi se priver de ces possibilités ? En bonne logique, moins d’immigration ferait de l’Australie un pays moins riche, moins intelligent, moins imaginatif et moins performant. Qui pourrait souhaiter cela ? »

*source : Courrier International